Article rédigé par Dr Patrick Habamenshi
Le pardon est souvent décrit comme un acte d’amour, mais la manière dont il nous est imposé est profondément mal orientée. La société nous enseigne que le pardon est une condition morale préalable à la guérison, un cadeau que nous devons offrir à ceux qui nous ont blessés — peu importe la nature de cette blessure, sa répétition ou nos propres sentiments à ce sujet. Je ne suis pas d’accord. Comment un chemin vers la guérison peut-il exiger que nous absolvions ceux qui nous ont fait du mal sans tenir compte de notre propre parcours pour comprendre ce qui nous a été infligé ? Comment un processus qui nie notre propre perspective pourrait-il jamais mener à une véritable guérison ?
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Lorsque le pardon est donné à la personne qui nous a blessés, c’est comme si on nous volait deux fois : d’abord notre intégrité physique, émotionnelle et mentale, et puis ensuite notre droit de demander des comptes. C’est comme si, en tant que victime, on me demandait aussi de récompenser mes bourreaux pour leurs actions.
Le pardon est trop souvent présenté comme un ordre : Tu dois pardonner pour pouvoir guérir. On le propose rarement comme une option parmi d’autres possibilités, et personne ne vous explique vraiment comment cette guérison magique va s’opérer — ni pourquoi l’on devrait obligatoirement passer par là. La seule justification qu’on entend souvent repose sur des enseignements religieux.
Mais cette guérison, imposée sans aucune réflexion personnelle ni véritable choix, ne devient-elle pas, en réalité, une forme d’immunité et une invitation à répéter leurs actes répréhensibles pour des individus sans scrupules, assurés d’obtenir un pardon automatique ?
Pour moi, le pardon forcé est superficiel; il favorise le bourreau et minimise la victime; au lieu d’alléger votre fardeau émotionnel, il l’alourdit et vous estropie pour le reste de votre cheminement solitaire. C’est comme être cambriolé et puis courir après les voleurs pour les inviter à revenir vous dépouiller de la chose la plus précieuse qu’il vous restait: votre humanité.
Si nous réclamons justice et réparation lorsqu’on nous dérobe de nos biens matériels ou financiers, pourquoi devrions-nous agir différemment face à ceux qui nous ont arraché notre dignité, trahi notre confiance, réduit notre estime de soi en poussière, et gravement compromis notre capacité à vivre normalement, sans la peur constante que tout puisse nous être volé de nouveau, à tout moment ?
Et pourquoi la pression de la rédemption repose-t-elle toujours sur la victime, et jamais sur le bourreau ? Pourquoi la société n’exerce-t-elle aucune pression sur les coupables pour qu’ils reconnaissent le mal qu’ils ont fait et demandent pardon ? Qu’est-ce qui donne à la société le droit de jeter l’opprobre sur les victimes, de les menacer de conséquences morales plus lourdes que celles imposées aux responsables de leur souffrance, tout en gardant le silence sur ces derniers ?
Le cycle du pardon mal orienté
Malgré mes doutes, j’ai longtemps pardonné automatiquement, diligemment, sans condition, et sans rien attendre en retour sinon ma tranquillité d’esprit. Mais à maintes reprises, ceux à qui j’avais pardonné trouvaient le moyen de me blesser à nouveau. Même après les avoir exclus de ma vie, ils parvenaient à m’atteindre indirectement, souvent à travers des personnes de mon entourage, et continuaient à me causer du tort.
Aujourd’hui, lorsque quelqu’un que je respectais ou pour qui j’avais de l’affection me trahit, je ne peux plus tomber dans le piège de leur offrir un pardon sans qu’il y ait d’attrition de leur part. Cette personne avait déjà bénéficié de ma confiance et de mon estime avant sa trahison ; je refuse désormais de récompenser leur méfait en leur offrant, en plus, un chemin non mérité vers le salut.
Lorsque ma vie s’est effondrée sous le poids de mes traumatismes non guéris — pour la plupart causés par des abus — j’ai dû affronter une vérité douloureuse : quelque chose dans ma manière d’être me ramenait sans cesse dans les mêmes situations toxiques. Ce n’était évidemment pas le pardon qui avait provoqué ces abus, mais c’est lui qui avait permis à ces abus de s’enraciner. Plutôt que de me pousser à confronter mes abuseurs, le pardon devenait un moyen détourné de transférer leurs crimes sur ma propre conscience. Au lieu de reconnaître ces individus comme toxiques, je m’efforçais de les percevoir comme des “enfants de Dieu” qui “ne savaient pas ce qu’ils faisaient” et qui, par conséquent, méritaient mon pardon plutôt que ma condamnation.
En faisant cela, je me suis condamné moi-même — sans même m’en rendre compte. Je suis devenu le complice de ma propre souffrance, offrant une permission tacite aux autres de me piétiner. Ma supposée “récompense” était un sentiment de vertu morale, une vertu malavisée qui ignorait complètement la douleur de l’abus. Sous la bannière du pardon et l’aura de vertu que le donner projetait aux yeux des autres, ma douleur non reconnue s’est amplifiée, devenant de plus en plus dévastatrice — jusqu’à ce que j’atteigne mon point de rupture. Au lieu de me libérer, l’impératif moral de pardonner est devenu une autre prison, me paralysant alors que je luttais pour donner un sens aux événements les plus dévastateurs de ma vie.
Le poids de la surdité sociale
Ce qui m’énerve le plus dans les discussions sur le pardon, particulièrement avec ceux qui l’acceptent, le professent et le promeuvent aveuglément, c’est cet argument selon lequel refuser de pardonner serait le signe d’une haine que nous porterions en nous — insinuant que ce refus alimente volontairement cette haine. Mais je vois les choses autrement. Si je pardonne à quelqu’un qui ne le mérite pas, je risque de finir par me haïr moi-même pour avoir offert ce pardon à une personne qui, à mes yeux, n’en était pas digne, du moins pas venant de moi. Dans ce sens, le pardon n’est pas un acte de guérison — c’est une nouvelle blessure.
Si la société veut accorder son pardon, libre à elle de le faire, mais cela ne devrait jamais se faire au détriment de la victime.
Si le pardon est censé être la clé d’une vie apaisée, pourquoi laisse-t-il souvent un sentiment de malaise une fois accordé ? Et que devient-on lorsque la personne qui nous a blessés refuse de reconnaître ses torts ou de faire amende honorable, préférant récidiver ? Ses nouveaux méfaits sont-ils automatiquement excusés par le pardon initial, ou devons-nous encore nous infliger l’effort douloureux d’un pardon forcé ? Comment notre guérison pourrait-elle reposer sur des individus dont les actions échappent totalement à notre contrôle ? Cette injonction au pardon, imposée par des doctrines religieuses et des normes sociales trop taboues pour être remises en question, cause, à mon sens, bien plus de tort que de bien.
“Si la société veut accorder son pardon, libre à elle de le faire, mais cela ne devrait jamais se faire au détriment de la victime”.
Le pardon de soi
Lorsque j’ai entamé mon chemin de guérison, ma colère était dirigée vers les autres — et puis progressivement , elle s’est retournée contre moi. Je n’avais jamais été aussi fâché contre moi-même. Dépité oui, mais ce degré de rage, c’était nouveau. Comme si pour la première fois je me voyais dans les incidents que j’ai vécu alors qu’avant mes souvenirs ne me montraient que les autres. Je suis resté comme ça pendant un temps, fulminant contre moi-même, avant de comprendre que c’était toxique et ça me détruisait encore plus que la colère envers les autres.
Alors petit à petit j’ai accepté que personne ne mérite ni l’abus ni de vivre toute sa vie à se blâmer d’avoir eu confiance dans les mauvaises personnes. Je me suis pardonné pour être resté dans ces environnements abusifs, de ne pas avoir su me défendre, et de vivre avec ce mélange de culpabilité et de honte qui auraient dû être portées par mes bourreaux. J’ai dû confronter ce sentiment de détresse et d’impuissance — que je ressentais souvent face à mes problèmes. Pendant des années, j’ai transporté trop de colère en moi que j’oubliais même qui j’étais avant tout ça. Si je n’avais pas appris à me pardonner, cette colère m’aurait consumé.
Me pardonner est devenu ma manière de reprendre mon pouvoir, de décider ce qui est mieux pour moi au lieu de me laisser guider par des diktats sociaux qui n’avaient aucune considération pour moi. Le pardon n’est plus ce cadeau que je me dois d’offrir à ceux qui me dérobent constamment de toute mon humanité, mais plutôt un cadeau que je m’offre à moi-même.
Ce pardon de soi n’efface pas les actions des autres, mais il les éloigne de toute considération immédiate et libère mon esprit de la culpabilité et de la honte que l’abus m’a léguées en héritage.
Ce n’est pas un processus facile car on doit entièrement changer sa manière de regarder ses problèmes et il n’a pas d’effet curatif immédiat ; mais c’est un processus sine qua non pour déverrouiller une porte qui m’a enfermé dans la mémoire de la douleur et aller de l’avant avec un cœur allégé. Chaque acte de pardon envers moi-même me rapproche de la liberté.
Retirer le pardon de l’équation de la guérison
Comment éviter que la pression sociétale et culturelle de prioriser le pardon envers l’autre ne supplante votre devoir de vous consacrer avant tout à votre propre guérison ?
En choisissant délibérément, intentionnellement, fermement et sans compromis de centrer votre attention sur l’impact qu’a eu cet abus sur vous-même, plutôt que de céder à la tentation d’ancrer votre processus de guérison autour de l’abus ou de l’abuseur.
Cela peut sembler plus facile à dire qu’à faire, surtout dans les cas d’abus émotionnels, où les abuseurs ont une manière insidieuse de se placer au centre de votre esprit. Même après avoir quitté votre vie, ils continuent de vous hanter et de roder à “proximité” de votre esprit, comme un voyeur indésirable qui envahit sans aucune honte jusqu’à vos moments les plus intimes.
Si vous êtes dans cette situation, il vous faudra travailler activement à briser cette emprise qu’ils ont sur vous. Lorsque j’ai décidé de guérir, l’un de mes premiers objectifs était d’expulser tous les intrus de mon espace mental et émotionnel. Mais avant de pouvoir le faire, j’ai dû comprendre comment ils étaient entrés. J’ai réalisé que le mur que mon esprit avait construit pour me protéger était criblé de brèches—des brèches que j’avais moi-même créées, sans m’en rendre compte, encore et encore, en les laissant entrer.
Comment ? Chaque fois que j’entendais leurs noms ou qu’un événement me rappelait les moindres détails de ce que j’avais vécu, mon esprit me transportait instantanément dans le passé, au cœur d’une scène douloureuse, pour revisiter ces moments que j’essayais tant d’oublier. Ces souvenirs conservaient la même intensité que s’ils dataient d’hier. Je revoyais les visages empreints de haine, les trahisons, les manigances, les amis s’éloignant jusqu’à disparaître, la solitude pesante, et le décompte implacable d’un piège se refermant sur moi. Par un mécanisme presque autonome, mon esprit ne se contentait pas de me rappeler que tout cela appartenait au passé. Non, il me ramenait au centre de la scène, réinvitant ces personnages funestes dans mon mental et recréant leurs blessures. La douleur, au lieu de s’atténuer, redoublait d’intensité.
J’ai dû travailler dur pour désactiver cette réaction automatique, réalisant que le passé ne pouvait revenir à moi que si je le recréais. J’ai colmaté les brèches et reconstruit mon mur protecteur—non pas un mur né de l’instinct, mais un mur intentionnellement conçu pour préserver ma paix intérieure.
Aujourd’hui, ce mur me permet de reconnaître intellectuellement leurs actions sans leur donner accès à mon espace de bien-être émotionnel et mental.
Le travail de guérison
La guérison est bien plus complexe qu’un simple acte de pardon. Elle nécessite deux choses essentielles :
1. Un effort intentionnel pour identifier et sceller les brèches qui permettent à la douleur de revenir.
2. Se placer au cœur de vos intentions.
La guérison est un contrat de bienveillance envers soi-même renouvelé quotidiennement, une promesse de survivre à tout prix et parfois malgré soi, et la préservation acharnée des parties de soi qui nous sont les plus chères. Guérir, c’est reconnaître que le traumatisme a eu un impact dévastateur mais pas irréparable. Le traumatisme n’est qu’un chemin de déviation temporaire et non une destinée.
Le pardon et l’amour sont les deux plus grands cadeaux que nous puissions offrir, et j’ai une dette immense sur les deux plans — envers moi-même, et non envers ceux qui m’ont trahi.
Le pardon de soi et l’amour de soi vous placent au centre de votre propre histoire, plutôt qu’à la périphérie de l’histoire de vos bourreaux. Ils représentent un acte de reconquête de votre paix intérieure et de votre confiance en vous-même. C’est une main ferme qui relève le soi intérieur, longtemps recroquevillé et relégué dans l’ombre de la négligence, pour le guider vers la lumière de jours meilleurs. C’est aussi la découverte que l’amour le plus authentique pour le monde ne peut naître que de l’amour de soi.
Le pardon est souvent vu comme une dette morale, mais se tromper de bénéficiaire vous enfonce encore plus profondément dans votre dette.
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